Tadej Pogacar réalise-t-il la meilleure saison de l'histoire ?
Le Slovène est le favori du Tour de Lombardie, dernier monument de la saison disputé samedi, et possible conclusion d'une année déjà à ranger dans les annales du cyclisme.
Tadej Pogacar n'est jamais rassasié. Et jamais avant 2024 avait-il eu un appétit de victoires aussi grand. Le Pantagruel de peloton s'attaque à ce qui devrait être un dernier repas cette année avec le Tour de Lombardie samedi, une possible cerise sur le gâteau déjà si copieux. Le Slovène n'en a que faire et écœure course après course ses adversaires. Au point de soulever légitimement la question de sa place parmi les plus belles saisons de l'histoire du cyclisme, ni plus, ni moins.
Comparer les époques sans matériel ou conditions équivalentes est un exercice toujours périlleux d. Mais les bouquets de vainqueur restent une valeur tangible pour estimer du poids d'un palmarès, quel qu'en soit la décennie. Pogacar en compte 24 cette saison, 16 pour son plus proche poursuivant, le Belge Tim Merlier (Soudal - Quick-Step). Si l'on exclut les sprinteurs pour ne se focaliser que sur les coureurs complets comme le Slovène, Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel, Brandon McNulty ou encore Marc Hirschi "plafonnent" à neuf victoires.
A lui seul, il a remporté plus de courses que dix des dix-huit équipes World Tour, et pourrait encore laisser la Red Bull - Bora Hansgroghe dans le rétroviseur s'il lève les bras samedi sans que la formation de Primoz Roglic ne décroche d'autre succès en 2024.
Record de victoires en XXIe siècle en jeu
Si Tadej Pogacar venait à triompher ce samedi à Côme, il égalerait le record de victoires sur une saison au XXIe siècle, propriété du sprinteur italien Alessandro Petacchi en 2005. Ses marques de 2022 (16 succès) et de 2023 (17) déjà surpassées, Pogacar est seul sur sa planète au milieu des spécialistes des arrivées massives et d'éventuels sprinteurs également à l'aise sur les classiques comme Tom Boonen ou Peter Sagan.
Le plus effrayant ? "Pogi" n'est pas un stakhanoviste absolu, empilant les jours de courses pour gonfler ses chiffres. Il comptera après le Tour de Lombardie 59 jours de course, dans les mêmes eaux que Primoz Roglic ou Remco Evenepoel dont le programme a pourtant été chamboulé cette saison par la grosse chute survenue durant le Tour du pays Basque début avril. Le coureur de l'équipe UAE-Emirates a simplement fait mouche avec un ratio dément : sur dix épreuves disputées avant ce week-end (courses d'un jour et classements généraux de tours), il en a remporté huit. Et la liste de ces accomplissements vaut plus que le total pourtant exorbitant.
L'année 2024 de Tadej Pogacar restera marquante tant par le style qu'il s'emploie à appliquer pour gagner, par ses attaques tout en panache souvent loin de l'arrivée, que par la liste de ses accomplissements. Tour d'Italie ? Coché, avec six victoires d'étape en prime. Tour de France ? Même tarif. Les championnats du monde ? Remportés au terme de plus de 50 kilomètres en solitaire. Seuls Eddy Merckx et Stephen Roche avaient décroché la même année les maillots rose, jaune et arc-en-ciel, la légendaire Triple Couronne.
Le Cannibale version 2.0
Alors, la filiation entre Merckx la légende et Pogacar l'insatiable a fini par ouvrir la voie à un débat quant à savoir lequel était le plus impressionnant sur une saison, voire le plus grand tout court. Car Roche en 1987 n'avait accompagné son triplé Giro - Grande Boucle - Mondiaux "que" du Tour de Romandie et Tour de la Communauté valencienne, quand Pogacar s'est offert en outre les Strade Bianche, Liège-Bastogne-Liège, le Tour de Catalogne, ou le Grand Prix de Québec pour ne parler que des épreuves World Tour. L'Italien Fausto Coppi s'en est approché en 1949 avec le premier doublé Tour de France - Giro de l'histoire (trois victoires d'étapes à chaque fois) et des Monuments comme Milan - Sanremo ou le Tour de Lombardie, mais il lui manque le sacre mondial.
Ne reste donc vraisemblablement que Merckx pour s'asseoir à la table du festin de Pogacar. Le Belge reste le recordman absolu du nombre de victoires sur une saison avec ses 54 succès en 1971. Son exercice 1972, celui de sa triple couronne, est peut-être plus grand encore avec pour autres faits d'armes d'exception Milan - Sanremo, Liège-Bastogne-Liège, la Flèche Wallonne, le Tour de Lombardie, Paris-Nice ou encore le record de l'heure pour parfaire le tout.
Adoubé par Merckx
Autre temps, autres mœurs, quand les cyclistes courraient plus de 160 jours par an, le double de la moyenne actuelle. Mais face à la concurrence accrue et au plus grand professionnalisme de la petite reine contemporaine, même Merckx lui-même a ployé un peu le genou après le titre de champion du monde du Slovène. "C'est évident qu'il est maintenant au-dessus de moi. Je le pensais déjà un peu au fond de moi-même quand j'avais vu ce qu'il avait fait sur le dernier Tour de France mais, ce soir, il n'y a pas de doute."
Le Belge s'est un peu déjugé quelques jours plus tard estimant qu'il ne faisait référence qu'à "ce que Pogacar a fait aux Mondiaux, sur cette course spécifique" et que le nouveau porteur du maillot irisé avait encore "beaucoup de chemin à faire s'il veut être meilleur qu'Eddy Merckx". Mais ce premier sceau d'approbation du Cannibale à son successeur désigné suffit déjà à rendre la question légitime et crédible. Et si Pogacar ne parviendra peut-être jamais aux 54 succès en un an, il s'est déjà octroyé avec sa saison 2024 une part d'éternité du cyclisme.