Disparition : Johan Neeskens a rejoint Johan Cruijff au ciel
Icône du football néerlandais, l’ancien milieu de terrain s’est éteint à l’âge de 73 ans.
Il était le cœur battant du football total, l’une des dernières figures de ce football qui avait révolutionné le jeu au détour des années 1970. Dans l’ombre du totémique Cruijff, inspirateur et incarnation du mouvement, il était l’autre Johan, le second comme il s’amusait à le surnommer car finalement toujours dans le sillage de son aîné de quatre ans, celui qui derrière le génial soliste ratissait, harcelait, courrait et organisait. Arrivé après lui à l’Ajax Amsterdam, à Barcelone, aux Etats-Unis et aussi dans la mort. Ce lundi 7 octobre, la Fédération néerlandaise de football a révélé que Johan Neeskens s’en était allé la veille à l’âge de 73 ans, plus de huit ans après Cruijff. "Avec ses tacles caractéristiques, sa vision du jeu sublime et ses penaltys emblématiques, il restera à jamais l'un des meilleurs joueurs que le football néerlandais ait jamais produit", a écrit la KNVB pour saluer la mémoire d’un de ses plus illustres joueurs.
Du baseball à l’Ajax
Si le natif d’Heemstede a autant marqué l’histoire du football, c’est avant tout parce qu’il était l’incarnation du joueur total, le premier dans son genre, un milieu polymorphe, moderne avant l’heure, aussi à l’aise pour harceler le porteur adverse que pour distribuer le jeu, ajoutant à sa panoplie la faculté à marquer des buts par la grâce d’une frappe surpuissante. Sans doute un héritage de son passé de batteur, lui qui hésita un temps à faire carrière dans le baseball au point de songer à faire un essai de trois mois aux Chicago Cubs. "A 16 ans, je jouais avec l'équipe première, en deuxième division. Je sais que les recruteurs me surveillaient, se souvient-il. A 18 ans, l'Ajax Amsterdam est venu me chercher. Je n'ai pas eu à hésiter", a-t-il expliqué.
Bien lui en aura pris. Formé dans le club de sa ville natale à une vingtaine de kilomètres d’Amsterdam, il arrivera à l’aube de la révolution. Si Johan Cruijff devait la conduire sous les ordres de Rinus Michels, il avait besoin d’un lieutenant qui en d’autres circonstances auraient été un général. Neekens avait l’étoffe pour ce rôle. Au premier la lumière et les actions de génie, au second les tâches plus ingrates afin de le soulager. Impossible de l’affirmer mais l’emprise de l’Ajax Amsterdam qui va asservir l’Europe trois saisons de suite n’aurait peut-être pas été la même sans lui. Les deux Johan ne se lâcheront plus. D’abord aux Pays-Bas puis à Barcelone dès 1974 où le second rejoint son aîné parti en éclaireur un an auparavant.
Le penalty d’une symphonie inachevée
Avant ses retrouvailles en Catalogne, les deux compères avaient ébloui le monde le temps d’une Coupe du monde. Une symphonie oranje presque parfaite mais finalement inachevée. Dans le sillage d’un Cruijff au sommet de son art, Neeskens avait inscrit 5 buts, dont le dernier en finale. Dès le coup d’envoi, le premier déchira la défense allemande avant d’être déséquilibré dans la surface. Le second prit alors le ballon pour se charger du penalty. "Durant toute ma carrière, je me suis toujours senti très confiant à l'heure de tirer un penalty, mais je dois être honnête : lorsque nous avons obtenu un penalty en finale, j'ai soudain été pris de nervosité. Seulement une minute et demie s'était écoulée. J'avais à peine touché le ballon, à peine pris mon rythme. Mes jambes n'étaient pas échauffées. De plus, il y avait 75 000 Allemands qui criaient contre moi. J'ai ressenti du trac", admettait l’intéressé à la FIFA.
Tellement nerveux qu’il fit précisément ce qu’il déconseillait à tous quand ils cherchaient auprès de lui des conseils : changer d’avis. Sa spécialité, tirer fort à mi-hauteur au ras du poteau sur la droite du gardien. Sepp Maier savait cela et partit sur sa droite justement. Neeskens, lui, tira tout droit légèrement sur la gauche du portier allemand. Ce but aurait pu (dû) consacrer le football total néerlandais, car inscrit avant même que les Allemands ne touchent le ballon. Il ne restera qu’anecdotique puisque les Pays-Bas furent terrassés par Paul Breitner et surtout Gerd Müller (1-2).
Il ne remportera jamais la Coupe du monde, pas en 1974 donc et non plus en 1978. Neeskens est alors le seul Johan à la tête du collectif néerlandais, le guide sur lequel se reposait Ernst Happel. Il échoua encore en finale, cette fois après prolongation face à l’Argentine de Mario Kempes qui évoluait à domicile et ne pouvait (devait) pas perdre.
Une vie d’aventure
La suite de la carrière et de la vie de Johan Neeskens fut une ode à l’aventure, une allégorie de son art de courir partout. Après cinq saisons à Barcelone, il franchit enfin l’Atlantique pour rejoindre les Etats-Unis et les New-York Cosmos. Il reviendra ensuite aux Pays-Bas pour repartir avant de finir en Suisse où il entama sa carrière d’entraîneur. Comme un symbole, il brilla davantage dans un second rôle, d’abord comme adjoint de Guus Hiddink à la Coupe du monde 1998 puis de Frank Rijkaard. Ce même Rijkaard qui lui permettra de revenir à Barcelone en 2006, puis de découvrir la Turquie à Galatasaray avant d’aller en Afrique du Sud au Mamelodi Sundowns.
Depuis l’Algérie, où il est décédé après un malaise, Johan Neeskens s’est élancé dans sa dernière course, celle vers les cieux et le panthéon du football où il a retrouvé l'autre Johan, Cruijff. Le cœur battant du football total s’est définitivement arrêté.